L’autre moitié du soleil

CHF16.00



Catégories : , Étiquettes : ,

Description

Quand Chimamanda Ngozi Adichie naît en 1977 au Nigeria, son pays n’a pas fini de cicatriser les blessures de la guerre civile. Sept ans auparavant, la brève existence du Biafra a pris fin après trois ans de massacres et de famines qui ont fait plus d’un million de morts. Ce conflit, avec ses images terribles d’enfants qui meurent en direct devant les caméras, ses gamins en armes, avait bouleversé l’Occident et suscité la création de Médecins sans frontières. A l’origine, un découpage ethnique aberrant et une politique du diviser pour régner pratiquée par les Anglais qui favorisent la minorité ibo. Les Ibos, chrétiens, largement scolarisés, occupent les principaux postes administratifs. Ils sont majoritaires au sud-est du pays, là où se trouvent les principales richesses, notamment le pétrole. A l’indépendance en 1960, les tensions montent dans ce pays qui compte quelque 250 ethnies. Des milliers d’Ibos sont massacrés au nord. Les autres émigrent en masse vers le sud. A la sécession du Biafra, en 1967, le gouvernement nigérian répond par le blocus et c’est la tragédie. Les deux grands-pères de Chimamanda Ngozi Adichie, qui appartenaient au groupe ibo, sont morts pendant cette guerre, elle-même a grandi dans le deuil d’une utopie, celle d’un pays sans corruption, sans injustices. Elle retrace ces espoirs et leur échec dans son deuxième roman, L’Autre Moitié du soleil, dont le titre est une référence au drapeau du Biafra, pays mort-né. Au coeur de cette épopée, la jeune femme a mis un couple improbable: la très jolie Olanna a choisi de quitter sa vie confortable pour rejoindre un intellectuel révolutionnaire plus âgé qu’elle dans la petite ville universitaire où il enseigne. Fille de la bourgeoisie ibo, elle a étudié aux Etats-Unis et pourrait épouser un des notables que fréquente son père, toujours au mieux avec le pouvoir, quel qu’il soit. Mais elle aime profondément Odenigbo, cet idéaliste charismatique, passablement macho et alcoolique aussi. S’affirmer en tant que femme indépendante face à ce lion vieillissant n’est pas le moindre combat d’Olanna. A sa jumelle, Kainene, est dévolu le rôle de la vilaine, de l’agressive, celle aussi qui gère les affaires paternelles. Les deux soeurs sont liées par une complicité indéfectible, en dépit de leur rivalité et des conflits qui manquent les séparer à jamais. L’amoureux de Kainene est encore plus inadéquat que celui d’Olanna: Richard est un journaliste anglais fasciné par l’art traditionnel ibo. Il rêve de consacrer un livre, un roman peut-être, à cette civilisation. Un peu velléitaire, introverti, il est fasciné par le discours d’Odenigbo, troublé par la beauté d’Olanna qui symbolise pour lui l’esthétique ibo. Il se laisse volontiers maltraiter par Kainene. En temps de paix, l’effervescence politique et intellectuelle permet de surmonter les conflits qui surgissent quand la tradition entre en collision avec la modernité. Le couple d’Olanna, la relation entre les soeurs en sont quand même gravement menacés. Un gamin observe ces convulsions, sidéré. C’est Ugwu, le boy d’Odenigbo, qui développe un dévouement inconditionnel à sa maîtresse. C’est lui, on le comprend peu à peu, qui racontera cette histoire, bien plus tard, quand la guerre aura redistribué toutes les cartes. Sa chronique s’intitulera: «Le monde s’est tu pendant que nous mourions». A partir de la sécession du Biafra, les deux couples, leurs familles, leurs amis se trouvent emportés dans une tourmente qui va en broyer beaucoup, mais aussi révéler des ressources individuelles, un courage quotidien et une générosité insoupçonnés, particulièrement chez Kainene. Enrôlé de force, Ugwu connaîtra le sort des enfants-soldats, apprendra à tuer, à violer et à survivre pour raconter. Après la défaite, les survivants se retrouveront hébétés, dépouillés de leurs biens et de leurs idéaux, accrochés à une espérance ténue, irrationnelle. Chimamanda Ngozi Adichie, qui a appris son métier de romancière à Yale, construit habilement son récit, alternant les périodes de paix et de guerre. Elle joue des niveaux de langage, du pidgin, de la rhétorique des intellectuels nigérians, des citations en ibo, du discours de la BBC. Une gageure pour la traductrice qui a rendu ces variantes avec talent. La jeune Nigériane montre une maîtrise remarquable de la dynamique des interactions compliquées entre l’ancienne société et l’organisation nouvelle; elle sait créer des personnages complexes, attachants et crédibles; à travers eux, c’est tout le paysage social du Nigeria qu’elle réussit à faire vivre dans ce vaste roman.