Destruction massive géopolitique de la faim

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Description

Sensible aux messages des textes sacrés, Ziegler cite l’Ecclésiastique (34, 21-22): «Une maigre nourriture, c’est la vie des pauvres, les en priver, c’est commettre un meurtre. C’est tuer son prochain que de lui ôter sa subsistance, c’est répandre le sang que de priver le salarié de son dû.» En termes laïcs, et plus typiquement zieglériens, cela s’exprime ainsi: «La destruction, chaque année, de dizaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants par la faim constitue le scandale de notre siècle.» C’est un «crime organisé». Le livre paraît tandis que le cours des produits agricoles a de nouveau atteint des sommets et que la Corne de l’Afrique affronte une effroyable famine. Première cause de mortalité dans le monde, la faim tue chaque année 35 millions de personnes, leur infligeant préalablement des souffrances physiques et psychiques atroces. Un enfant en meurt chaque cinq secondes. Quant à la population affligée «seulement» de sous-nutrition, elle atteint le milliard. Plus d’un humain sur sept. Destruction massive est probablement l’un des meilleurs livres de Jean Ziegler. Il bénéficie d’une connaissance du terrain et d’une réflexion académique longue maintenant de près de soixante ans. La crédibilité sur ce sujet est encore renforcée par son expérience de rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’ONU, de 2000 à 2008. La construction du livre est complexe et profuse. La démonstration cartésienne ne constitue que la trame. S’entrelacent, de manière très pédagogique et incitant à la lecture, des données ­factuelles à jour, des récits d’observations sur le terrain, des ­descriptions éclairant des mécanismes des organisations internationales. Et puis il y a ce discours militant imagé qui est la «patte» de Jean Ziegler et qui lui a valu des réactions très partagées, de l’adulation à la plus féroce détestation, ayant notamment débouché sur de nombreuses actions en justice contre lui. S’il parle de «destruction», c’est qu’il décèle un plan derrière ce désastre: celui des «requins tigres», connus dans le monde animal comme des prédateurs particulièrement agiles, puissants et voraces, des caractéristiques que Ziegler reconnaît aussi chez les opérateurs de la bourse des matières premières agricoles à Chicago et chez les dirigeants des hedge funds à Genève. Leurs prédations auraient été rendues possibles et même encouragées par les «trois cavaliers de l’Apocalypse de la faim» que seraient l’OMC, le FMI et, dans une moindre mesure, la Banque mondiale, trois institutions internationales imprégnées par la doxa libérale, qui traitent les terres et les produits agricoles comme n’importe quel autre bien, et dont l’action a notamment eu pour effet l’abandon d’une grande partie des cultures vivrières au profit de denrées comme le cacao et le café qui sont négociables, sous le contrôle de multinationales, sur les marchés mondiaux. L’affirmation de l’alimentation comme un droit, un droit pour tous, ancré dans le corpus onusien, a ainsi été vidée de sa substance. D’ailleurs, les institutions onusiennes compétentes, surtout le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), sont exsangues: s’en remettant au marché, ses donateurs leur coupent peu à peu les vivres. Le PAM, responsable de l’aide d’urgence, a été particulièrement touché. Son budget, qui était de 6 milliards de dollars, est tombé à 3,2 milliards en 2009, les Etats étant alors sollicités pour payer les errances de leurs banques par milliers de milliards. Une cure qu’il est difficile de ne pas considérer, avec Ziegler, comme criminelle. Les conséquences sur le terrain sont dramatiques, notamment dans la Corne de l’Afrique où les rations (1100 calories, la moitié de la ration préconisée) ont dû être fortement abaissées et où même cette maigre pitance doit être refusée à un nombre croissant de victimes. Par ailleurs, le PAM a aussi dû renoncer en 2009, à l’échelle planétaire, aux repas scolaires qu’il distribuait à 22 millions d’enfants vivant dans les pays les plus pauvres… Jean Ziegler rappelle que cette situation est absurde: alors que les ressources de la planète suffiraient largement aux besoins alimentaires de tous les humains et bien davantage, la sous-alimentation et les crises alimentaires s’aggravent. Certes, certains facteurs traditionnels, comme les sécheresses, les attaques de criquets ou les épizooties, échappent à la volonté humaine. Mais selon Jean Ziegler, la spéculation est un facteur encore plus dévastateur. De plus, une tendance générale haussière est à prévoir avec la soustraction d’immenses étendues de terre à l’alimentation, au profit de la transformation en carburants. L’occasion pour ­Ziegler de fusiller Barack Obama pour son fort engagement dans cette voie et de saluer la lucidité du… patron de Nestlé, numéro un mondial de l’alimentation. ­Peter Brabeck estime en effet qu’«avec les biocarburants nous envoyons dans la pauvreté la plus extrême des centaines de millions d’êtres humains». Jean Ziegler n’est pas désespéré (il ne l’a jamais été, ni fataliste). Les solutions existent, elles paraissent simples et relativement peu coûteuses, comme les investissements dans les systèmes d’irrigation et la mécanisation. Mais plus fondamentalement, il faudrait selon lui que le droit à l’alimentation soit respecté, ce qui implique de brider les forces du marché. Comme le disait Gandhi cité par Ziegler: «Le monde a assez pour satisfaire les besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire la cupidité de tous.»

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